Trois jours après le début de l’attaque terroriste, nous sommes abreuvés d’un discours tiède et consensuel à la sauce Tartuffe. Les pires censeurs pleurent sur la liberté d’expression. Les semeurs de haine crient au rassemblement. Les véritables questions sont interdites et le seul discours toléré est celui de la guerre dans laquelle nous occuperions «le camp du bien». La manifestation de dimanche évacuera toute question dérangeante et je ne participerai pas à ce bal des hypocrites qui, d’après le premier ministre, «montrera la puissance de la France».
Tout d’abord, je me vois mal manifester aux côtés des pires gens de droite dont le racisme ne s’est pas dissimulé. Marcher aux côtés de Sarkozy ? De Copé et ses pains au chocolat ? Aux côtés de Horteffeux et ses remarques insultantes sur les Arabes ? Faut-il rappeler que lorsque la révolution a commencé contre le dictateur sanguinaire Ben Ali en Tunisie, Michèle Alliot-Marie alors ministre de la défense a proposé l’aide militaire de la France pour lutter contre les insurgés ? Marcher demain avec eux ? Avec les premiers ministres très droitistes d’Espagne et de Grande-Bretagne ? Benyamin Netanyahou a été invité après avoir gentiment proposé son aide à la France… Le grand démocrate président turc va envoyer son premier ministre. Cela ressemble à une plaisanterie à la Charlie…
Il est piquant de voir aujourd’hui le ministre de l’intérieur encenser la police et les gendarmes que chacun salue sur les réseaux sociaux. L’intervention des forces de l’ordre est nécessaire quand des civils sont en danger mais a t-on déjà oublié ce que nous pensions des mêmes lorsqu’ils ont assassiné un jeune manifestant pacifiste désarmé il y a quelques semaines? Ceux qui ont manifesté alors manifesteront demain dans un salmigondis politique qui s’est vidé de son sens. D’autre part, il est drôle aussi d’entendre les (anciens et actuels) responsables de France Inter et de Radio France pleurer sur la liberté d’expression. Les mêmes qui ont viré ceux qui en faisaient usage sur leurs propres antennes : Porte, Guillon, Mermet… Ou ceux qui, ailleurs, permettent la promotion des pires réactionnaires au discours violent et raciste.
Tous ces hypocrites manifesteront demain. Ne nous montrons pas parmi eux.
Après la mort des dessinateurs de Charlie, nous serions « tous Charlie », à l’unisson d’un discours totalement vide de sens que n’auraient jamais validé les victimes. Ce slogan inventé par un créatif publicitaire est bien le reflet de notre époque. Nous mettons un instant nos oppositions politiques de côté, comme si elles n’étaient le cœur de ce qui se déroule. Comme si, tout à coup, par hasard, nous étions attaqué par un ennemi extérieur avec qui nous n’entretenions aucune relation. Comme si les dessinateurs assassinés pouvaient devenir les étendards ce qu’ils ont toujours combattu.
J’ai déjà posé ici même des questions sur la manière dont notre société fabrique des monstres. Car, après tout, les terroristes sont des nôtres. Ils ont grandi ici. Comme le millier de jeunes partis en Syrie, ils étonnent aujourd’hui ceux qui les ont connus. De « braves petits gars », gentils, amicaux mais qui sont devenus des barbares. Ont-ils tous contracté la même maladie mentale ? La seule réponse qui nous est fournie est qu’ils ont été manipulés par des idéologues musulmans fondamentalistes. C’est la vérité. Mais ne faut-il s’interroger sur les raisons pour lesquelles des milliers de jeunes tombent dans de telles griffes ? Ne faut-il pas y voir le résultat d’une société où un tiers de ses membres est en train de sombrer dans le désespoir ? Racisme institutionnalisé, ségrégation à l’emploi, aux loisirs, au logement, contrôles policiers au faciès, violence policière endémique. Mais aussi chômage, misère, avec surtout un sentiment d’impasse et d’injustice implacable, totale et définitive pour des millions de femmes et d’hommes. Trois millions d’enfants vivent dans la pauvreté pauvreté en France. Peut-on espérer que quelques-uns ne deviendront pas violents ? Quelle illusion…
D’autre part, la violence terroriste islamiste, comme toutes les violences, a une histoire. Celle des Frères musulmans prend sa source dans un contexte post-colonial dans des dictatures soutenues par nos gouvernants. En Afghanistan, les Etats-Unis ont formé et financé des fous de dieu qui ne se sont pas devenus des démocrates, une fois les Russes mis en déroute. Aujourd’hui, les interventions des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France sur des terrains extérieurs répètent les mêmes erreurs en provoquant les mêmes conséquences. L’attaque délirante de la Libye par la France à l’instigation de BHL et après que Nicolas Sarkozy ait reçu en grande pompe son dictateur (et sans doute un pactole) a conduit à un chaos dans le même pays et à l’armement de milices terroristes plus au sud. Du coup, la France se sent obligée d’intervenir dans son pré carré malien quand la situation dégénère.
Enfin, les milliers de jeunes européens (une quantité effroyable en Belgique) qui partent en Syrie ne provoquent pas le début du moindre questionnement sur notre fonctionnement collectif. Comment une société dont les valeurs ultra individualistes ont permis la saine remise en question de valeurs aliénantes mais aussi l’élaboration de relations sociales fondées sur l’unique compétition, empêchant ainsi toute solidarité et donc tout sentiment de classe et d’injustice systémique. Partant, le combat politique… Le sentiment d’injustice de la jeunesse a donc trouvé un nouvel exutoire pour s’exprimer.
D’où ce robinet à l’eau tiède dont chacun se réjouit depuis quatre jours. Charb, Wolinski, Tignous et Oncle Bernard riraient jaune de voir leur nom ainsi honoré à la bourse de New-York ou dans des églises. Ils hurleraient en entendant le président américain annoncer qu’il prie pour eux. En leur rendant ainsi hommage, on piétine ce qu’ils étaient. Eux qui étaient radicalement de gauche, souvent anarchistes, athées
Car aujourd’hui, on entend chacun affirmer que les terroristes n’étaient pas de « vrais Musulmans ». Même le président de la République à qui l’on n’a rien demandé en termes de théologie, affirme que le « vrai Islam » n’est pas celui-là. Cette hypocrisie, une fois de plus, masque une réalité bien plus complexe. Les trois religions du livre portent en elles, et en leurs textes, tout et son contraire. On se force à omettre que le « tu ne tueras point » judéo-chrétien était suivi, seulement quelques pages plus loin, d’une injonction divine à commettre un génocide en tuant les hommes, femmes et enfants d’un peuple qui occupait une terre « sacrée » et donc il fallait s’emparer. Selon qu’il prendra les textes par un bout ou par un autre, le croyant développera un discours de haine ou d’amour. Ou parfois les deux selon les moments. L’inquisition s’est faite la bible à la main. Le massacre des palestiniens aussi. La religion n’est qu’un vecteur qui permet d’exprimer une spiritualité apaisée ou la haine que l’on a en soi. Selon ce que l’on vit par ailleurs.
A force de s’empêcher de réfléchir tout en hurlant à la liberté de pensée, on poursuit la même politique qui nous conduit à la catastrophe. Les cerveaux ont été parfaitement lavés et l’on va refuser de lire dans les événements le moindre symptôme d’autre chose qu’une « guerre que l’on nous fait ». Cette guerre va donc s’intensifier, d’autres événements dramatiques surviendront et nous ne pourrons pas y faire face. A ses pires heures, le dictateur égyptien Moubarak, ami des occidentaux, disposait d’un million de policiers, omniprésents à chaque coin de rue. Cela ne lui a pourtant pas suffi.
Demain des gens manifesteront aux côtés de ceux qui ont permis à des nouveaux nazis de répandre partout leurs idées nauséabondes. Les producteurs et journalistes qui ont rendu populaires ceux qui imaginent la « déportation » des Musulmans seront dans la rue. Ils se sont engraissés d’une audience bien rentable et jouent la colère contre les conséquences de ce qu’ils ont mis en place.
Demain, mes amis socialistes, écologistes, communistes et du Front de gauche iront manifester avec la droite. Je leur souhaite d’y prendre du plaisir car bientôt, ils seront réduits à voter pour elle.
Note
On me signale que Luz de Charlie Hebdo défend un point de vue proche de celui exprimé ci dessus.
Tout d’abord, je me vois mal manifester aux côtés des pires gens de droite dont le racisme ne s’est pas dissimulé. Marcher aux côtés de Sarkozy ? De Copé et ses pains au chocolat ? Aux côtés de Horteffeux et ses remarques insultantes sur les Arabes ? Faut-il rappeler que lorsque la révolution a commencé contre le dictateur sanguinaire Ben Ali en Tunisie, Michèle Alliot-Marie alors ministre de la défense a proposé l’aide militaire de la France pour lutter contre les insurgés ? Marcher demain avec eux ? Avec les premiers ministres très droitistes d’Espagne et de Grande-Bretagne ? Benyamin Netanyahou a été invité après avoir gentiment proposé son aide à la France… Le grand démocrate président turc va envoyer son premier ministre. Cela ressemble à une plaisanterie à la Charlie…
Il est piquant de voir aujourd’hui le ministre de l’intérieur encenser la police et les gendarmes que chacun salue sur les réseaux sociaux. L’intervention des forces de l’ordre est nécessaire quand des civils sont en danger mais a t-on déjà oublié ce que nous pensions des mêmes lorsqu’ils ont assassiné un jeune manifestant pacifiste désarmé il y a quelques semaines? Ceux qui ont manifesté alors manifesteront demain dans un salmigondis politique qui s’est vidé de son sens. D’autre part, il est drôle aussi d’entendre les (anciens et actuels) responsables de France Inter et de Radio France pleurer sur la liberté d’expression. Les mêmes qui ont viré ceux qui en faisaient usage sur leurs propres antennes : Porte, Guillon, Mermet… Ou ceux qui, ailleurs, permettent la promotion des pires réactionnaires au discours violent et raciste.
Tous ces hypocrites manifesteront demain. Ne nous montrons pas parmi eux.
Après la mort des dessinateurs de Charlie, nous serions « tous Charlie », à l’unisson d’un discours totalement vide de sens que n’auraient jamais validé les victimes. Ce slogan inventé par un créatif publicitaire est bien le reflet de notre époque. Nous mettons un instant nos oppositions politiques de côté, comme si elles n’étaient le cœur de ce qui se déroule. Comme si, tout à coup, par hasard, nous étions attaqué par un ennemi extérieur avec qui nous n’entretenions aucune relation. Comme si les dessinateurs assassinés pouvaient devenir les étendards ce qu’ils ont toujours combattu.
J’ai déjà posé ici même des questions sur la manière dont notre société fabrique des monstres. Car, après tout, les terroristes sont des nôtres. Ils ont grandi ici. Comme le millier de jeunes partis en Syrie, ils étonnent aujourd’hui ceux qui les ont connus. De « braves petits gars », gentils, amicaux mais qui sont devenus des barbares. Ont-ils tous contracté la même maladie mentale ? La seule réponse qui nous est fournie est qu’ils ont été manipulés par des idéologues musulmans fondamentalistes. C’est la vérité. Mais ne faut-il s’interroger sur les raisons pour lesquelles des milliers de jeunes tombent dans de telles griffes ? Ne faut-il pas y voir le résultat d’une société où un tiers de ses membres est en train de sombrer dans le désespoir ? Racisme institutionnalisé, ségrégation à l’emploi, aux loisirs, au logement, contrôles policiers au faciès, violence policière endémique. Mais aussi chômage, misère, avec surtout un sentiment d’impasse et d’injustice implacable, totale et définitive pour des millions de femmes et d’hommes. Trois millions d’enfants vivent dans la pauvreté pauvreté en France. Peut-on espérer que quelques-uns ne deviendront pas violents ? Quelle illusion…
D’autre part, la violence terroriste islamiste, comme toutes les violences, a une histoire. Celle des Frères musulmans prend sa source dans un contexte post-colonial dans des dictatures soutenues par nos gouvernants. En Afghanistan, les Etats-Unis ont formé et financé des fous de dieu qui ne se sont pas devenus des démocrates, une fois les Russes mis en déroute. Aujourd’hui, les interventions des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France sur des terrains extérieurs répètent les mêmes erreurs en provoquant les mêmes conséquences. L’attaque délirante de la Libye par la France à l’instigation de BHL et après que Nicolas Sarkozy ait reçu en grande pompe son dictateur (et sans doute un pactole) a conduit à un chaos dans le même pays et à l’armement de milices terroristes plus au sud. Du coup, la France se sent obligée d’intervenir dans son pré carré malien quand la situation dégénère.
Enfin, les milliers de jeunes européens (une quantité effroyable en Belgique) qui partent en Syrie ne provoquent pas le début du moindre questionnement sur notre fonctionnement collectif. Comment une société dont les valeurs ultra individualistes ont permis la saine remise en question de valeurs aliénantes mais aussi l’élaboration de relations sociales fondées sur l’unique compétition, empêchant ainsi toute solidarité et donc tout sentiment de classe et d’injustice systémique. Partant, le combat politique… Le sentiment d’injustice de la jeunesse a donc trouvé un nouvel exutoire pour s’exprimer.
D’où ce robinet à l’eau tiède dont chacun se réjouit depuis quatre jours. Charb, Wolinski, Tignous et Oncle Bernard riraient jaune de voir leur nom ainsi honoré à la bourse de New-York ou dans des églises. Ils hurleraient en entendant le président américain annoncer qu’il prie pour eux. En leur rendant ainsi hommage, on piétine ce qu’ils étaient. Eux qui étaient radicalement de gauche, souvent anarchistes, athées
Car aujourd’hui, on entend chacun affirmer que les terroristes n’étaient pas de « vrais Musulmans ». Même le président de la République à qui l’on n’a rien demandé en termes de théologie, affirme que le « vrai Islam » n’est pas celui-là. Cette hypocrisie, une fois de plus, masque une réalité bien plus complexe. Les trois religions du livre portent en elles, et en leurs textes, tout et son contraire. On se force à omettre que le « tu ne tueras point » judéo-chrétien était suivi, seulement quelques pages plus loin, d’une injonction divine à commettre un génocide en tuant les hommes, femmes et enfants d’un peuple qui occupait une terre « sacrée » et donc il fallait s’emparer. Selon qu’il prendra les textes par un bout ou par un autre, le croyant développera un discours de haine ou d’amour. Ou parfois les deux selon les moments. L’inquisition s’est faite la bible à la main. Le massacre des palestiniens aussi. La religion n’est qu’un vecteur qui permet d’exprimer une spiritualité apaisée ou la haine que l’on a en soi. Selon ce que l’on vit par ailleurs.
A force de s’empêcher de réfléchir tout en hurlant à la liberté de pensée, on poursuit la même politique qui nous conduit à la catastrophe. Les cerveaux ont été parfaitement lavés et l’on va refuser de lire dans les événements le moindre symptôme d’autre chose qu’une « guerre que l’on nous fait ». Cette guerre va donc s’intensifier, d’autres événements dramatiques surviendront et nous ne pourrons pas y faire face. A ses pires heures, le dictateur égyptien Moubarak, ami des occidentaux, disposait d’un million de policiers, omniprésents à chaque coin de rue. Cela ne lui a pourtant pas suffi.
Demain des gens manifesteront aux côtés de ceux qui ont permis à des nouveaux nazis de répandre partout leurs idées nauséabondes. Les producteurs et journalistes qui ont rendu populaires ceux qui imaginent la « déportation » des Musulmans seront dans la rue. Ils se sont engraissés d’une audience bien rentable et jouent la colère contre les conséquences de ce qu’ils ont mis en place.
Demain, mes amis socialistes, écologistes, communistes et du Front de gauche iront manifester avec la droite. Je leur souhaite d’y prendre du plaisir car bientôt, ils seront réduits à voter pour elle.
Note
On me signale que Luz de Charlie Hebdo défend un point de vue proche de celui exprimé ci dessus.
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